To print this article, all you need is to be registered or login on Mondaq.com.
Quelques propos introductifs
La présente Newsletter de Monfrini Bitton Klein vise
à offrir, de manière hebdomadaire, un tour
d’horizon de la jurisprudence rendue par le Tribunal
fédéral dans les principaux domaines
d’activité de l’Etude, soit le droit pénal
économique et le recouvrement d’actifs (asset
recovery).
Sans prétendre à l’exhaustivité, seront
reproduits ci-après les considérants consacrant le
raisonnement juridique principal développé par notre
Haute juridiction sur les thématiques suivantes : droit de
procédure pénale, droit pénal
économique, droit international privé, droit de la
poursuite et de la faillite, ainsi que le droit de l’entraide
internationale.
I. PROCÉDURE PÉNALE
TF 7B_198/2024 du 9 avril 2024 | Perquisition
disproportionnée d’un téléphone portable
(art. 141 CPP) et refus illicite d’extension du mandat
d’office devant le TMC à la
procédure de recours (art. 132 CPP)
- Le 20 novembre, A. (« Recourant »)
a été interpellé par un policier qui a
immédiatement procédé à des
vérifications sur son téléphone mobile. Selon
le rapport d’arrestation, sa messagerie WhatsApp laissait
apparaître des échanges avec deux interlocutrices
possiblement en lien avec un trafic de cocaïne. Aucun
stupéfiant n’a été découvert sur
lui. Le Recourant a été conduit au poste de police et
son téléphone mobile a été saisi et
inventorié. Entre-temps, les deux interlocutrices, ont
été identifiées et ont mis en cause le
Recourant pour leur avoir livré, par le passé, de la
cocaïne. - Le 21 novembre 2023, le Ministère public genevois a
ouvert une instruction pénale contre le Recourant notamment
pour soupçon de participation à un trafic de
cocaïne. Le 22 novembre 2023, le Tribunal des mesures de
contrainte de la République et canton de Genève
(« TMC ») a ordonné la mise en
détention provisoire du Recourant pour une durée de 3
mois. - Le 23 novembre 2023, ce dernier a demandé sa remise en
liberté immédiate. Le 27 novembre 2023, le TMC a
refusé cette demande. Le Tribunal fédéral a
partiellement admis son recours en tant qu’il portait sur le
refus d’étendre à la procédure de recours
le mandat d’office de son défenseur, mais l’a
rejeté pour le surplus. - Le 15 et le 29 décembre 2023, le TMC a derechef
refusé la mise en liberté du Recourant. Le Recourant
a interjeté recours au Tribunal fédéral contre
ces décisions dont les causes ont été
jointes. - Le Recourant a d’abord soutenu que les soupçons de
commission d’infractions ne reposaient que sur l’audition
de deux toxicomanes dont l’identification résultait
d’une perquisition illégale de son
téléphone qui était donc manifestement
inexploitable (consid. 3.1). - Le Tribunal fédéral a d’abord rappelé
qu’il n’appartient pas au juge de la détention de
procéder à une pesée complète des
éléments à charge et à décharge
et d’apprécier la crédibilité des
personnes qui mettent en cause le prévenu, mais uniquement
d’examiner s’il existe des indices sérieux de
culpabilité justifiant cette mesure (consid. 3.2). - Notre Haute Cour a ensuite renvoyé à son
arrêt 7B_102/2024 du 11 mars 2024 dans lequel elle avait
retenu que la fouille de données sur des appareils
électroniques tels qu’un téléphone mobile
allait au-delà de ce qui était autorisé lors
d’un contrôle par la police des objets transportés
(consid. 3.4). - In casu, le Ministère public n’avait pas
ordonné la perquisition du téléphone du
Recourant en tant que mesure de contrainte au sens de l’art.
246 CPP et aucune situation de danger imminent n’existait. Il
n’y avait notamment pas, lors de l’interpellation du
Recourant, d’indices d’un trafic de cocaïne contre
lequel était dirigée l’opération de police
menée à Genève. La perquisition en tant que
telle s’avérait donc disproportionnée et
s’apparentait à une « fishing expedition
» (consid. 3.4). - Notre Haute Cour a néanmoins retenu que les preuves
obtenues de cette manière, soit les conversations WhatsApp
et les dépositions des deux toxicomanes,
n’étaient pas manifestement inexploitables au stade de
l’examen de l’existence de sérieux soupçons
justifiant la détention provisoire compte tenu de la
gravité concrète de l’infraction en question.
Cela étant, le Tribunal fédéral a
indiqué qu’il appartiendrait au juge du fond de
procéder à la pesée des intérêts
de l’art. 141 al. 2 CPP, en prenant en considération,
d’une part, l’intérêt public à la
poursuite d’infractions graves et, d’autre part,
l’intérêt privé au respect des droits
fondamentaux qui prohibent en particulier le profilage racial et la
« fishing expedition » (consid. 3.4). - Ensuite, le Recourant a reproché à l’instance
cantonale d’avoir refusé d’étendre à
la procédure de recours le mandat d’office de son
défenseur (consid. 4.1). - Le Tribunal fédéral a rappelé que le
mandat de défense d’office conféré
à l’avocat du prévenu pour la procédure
principale ne s’étend pas aux procédures de
recours contre les décisions prises par la direction de la
procédure en matière de détention avant
jugement, si l’exigence des chances de succès de telles
démarches peut être opposée au détenu
dans ce cadre, même si cette dernière question ne peut
être examinée qu’avec une certaine retenue. Cela
vaut aussi lorsque le ministère public a, dans le cadre de
la procédure principale, désigné un
défenseur d’office au prévenu qui se trouve dans
un cas de défense obligatoire (art. 132 al. 1 let. a
cum art. 130 CPP). La désignation d’un conseil
d’office pour la procédure pénale principale
n’est ainsi pas un blanc-seing pour introduire des recours aux
frais de l’État, notamment contre des décisions
de détention provisoire (consid. 4.2). - In casu, le Tribunal fédéral a
relevé que la cour cantonale n’avait pas examiné
la question de savoir si les conditions d’une défense
d’office étaient réalisées, au motif que
le recours était dénué de chances de
succès et que le Recourant n’avait pas prétendu
à l’assistance judiciaire. Or, il n’apparaît
pas, compte tenu de la perquisition disproportionnée
à l’encontre du Recourant lors de son interpellation,
que les recours déposés successivement en lien avec
sa détention provisoire étaient d’emblée
dénués de chances de succès. Il incombait
ainsi à la cour cantonale d’à tout le moins
interpeller le Recourant sur la question de sa défense
d’office, avant de rendre les décisions attaquées
(art. 132 CPP) (consid. 4.3 et 4.4). - Partant, le recours a été partiellement
admis.
TF_839/2023 du 26 mars 2024 | Refus de nomination d’une
avocate d’office contraire au droit
(art. 132 CPP
- Par ordonnance pénale du 13 août 2023, le
Ministère public de la République et canton de
Genève (« Ministère public
») a condamné A. (« Recourant
») pour vol, utilisation frauduleuse d’un ordinateur,
infraction à l’art. 115 al. 1 let. b LEI et infraction
à l’art. 19a ch. 1 LStup à une peine privative de
liberté de 120 jours, sous déduction de 2 jours
correspondant à 2 jours de détention avant jugement,
ainsi qu’à une amende de CHF 500.-. Le 14 août
2023, le Recourant a formé opposition, demandant
simultanément d’être mis au bénéfice
d’une défense d’office. Par ordonnance rendue le 23
août 2023, le Ministère public a refusé
d’ordonner une défense d’office en faveur de A. - Le Recourant a reproché à la Chambre
pénale de recours genevoise une violation des art. 132 CPP
et 6 CEDH, estimant que la nomination d’un avocat d’office
serait nécessaire à la sauvegarde de ses
intérêts (consid. 2.1). - L’art. 132 al. 1 let. b CPP soumet le droit à
l’assistance d’un défenseur d’office aux
conditions que le prévenu soit indigent et que la sauvegarde
de ses intérêts justifie une telle assistance.
S’agissant de la seconde condition, elle
s’interprète à l’aune des critères
mentionnés à l’art. 132 al. 2 et 3 CPP. Ainsi,
les intérêts du prévenu justifient une
défense d’office notamment lorsque la cause n’est
pas de peu de gravité et qu’elle présente, sur le
plan des faits ou du droit, des difficultés que le
prévenu seul ne pourrait pas surmonter (art. 132 al. 2 CPP).
En tout état de cause, une affaire n’est pas de peu de
gravité lorsque le prévenu est passible d’une
peine privative de liberté de plus de quatre mois ou
d’une peine pécuniaire de plus de 120 jours-amende (art.
132 al. 3 CPP). - La Chambre pénale genevoise avait retenu, en substance,
qu’au vu de la peine concrètement encourue par le
Recourant, la cause ne dépassait pas le seuil de
gravité de l’art. 132 al. 3 CPP. Selon elle, les faits
et dispositions applicables étaient clairement circonscrits
et ne présentaient aucune difficulté de
compréhension ou d’application (consid. 2.4). - Le Tribunal fédéral n’a pas suivi cette
appréciation. S’agissant de la gravité de la
cause, il a relevé que le Recourant avait fait l’objet,
en sus de l’ordonnance pénale du 13 août 2023,
d’une autre ordonnance pénale l’ayant
condamné à 90 jours de peine privative de
liberté, de même qu’il avait été mis
au bénéfice d’un sursis antérieur portant
sur une peine de 80 jours amendes. De ce fait, le tribunal de
première instance était susceptible de prononcer une
peine supérieure à quatre mois d’emprisonnement
(art. 132 al. 3 CPP, cum art. 356 al. 1 et 326 al. 1 let.
f CPP) (consid. 2.5). - A cela s’ajoutait le fait que la cause n’était
pas dépourvue de toute complexité. En effet, au vu de
la pluralité d’ordonnances pénales et
d’infractions commises, les règles sur le concours (art.
49 CP) et la jurisprudence y relative allaient devoir
s’appliquer. Or, celles-ci ne sont pas simples à
comprendre pour une personne non-juriste (consid. 2.5). - Quant à la difficulté de la cause, il fallait
prendre en considération le fait que le Recourant,
ressortissant algérien, présent en Suisse depuis 2018
environ, se déclarait, au moment de l’arrêt
entrepris, sans revenu et sans attache avec la Suisse, consommant
régulièrement de la cocaïne (consid. 2.5). - S’agissant de la condition de l’indigence, le Recourant
déclarant percevoir désormais un revenu mensuel de
CHF 500.- et être aidé par des amis pour le paiement
de son loyer, il convenait d’admettre qu’il ne disposait
pas des moyens nécessaires à la
rémunération d’un défenseur d’office
(consid. 2.5). - Dès lors, en refusant de désigner un
défenseur d’office au Recourant, la dernière
instance cantonale a violé le droit fédéral
(consid. 2.6). - Partant, le recours a été admis et
l’arrêt attaqué réformé avec la
nomination d’office de l’avocate du Recourant à
partir du 14 août 2023.
TF 6B_178/2024 du 27 mars 2024 | Violation des garanties
constitutionnelles en procédure d’appel et du principe
de bonne foi en cas de non-respect des assurances données
par les autorités (art. 6 ch. 1 CEDH, art. 5 al. 3 Cst., 29
al. 2 Cst., art. 406 CPP)
- Le 21 novembre 2019, A. (« Recourant
») est condamné pour violation des règles de la
circulation, entrave aux mesures visant à déterminer
l’incapacité de conduire et comportement contraire aux
devoirs en cas d’accident. Le Recourant a interjeté un
appel dans le délai imparti, en demandant l’annulation
de la décision et son acquittement. - Après avoir classé la procédure le 23
novembre 2021, suite au retrait de l’appel pour absence non
excusée à l’audience, la Cour d’appel du
canton de Bâle-Ville (« Cour
d’appel ») a accepté, le 14 septembre
2023, la demande de restitution de la date manquée du
Recourant. Par arrêt du 18 janvier 2024, la Cour d’appel
a confirmé la condamnation du Recourant. - Le Recourant a interjeté un recours en matière
pénale demandant l’annulation de la décision pour
violation des art. 5 al. 3 Cst., art. 29 al. 2 Cst. et 6 ch. 1
CEDH. Il a fait valoir que la Cour d’appel aurait, en vue de la
répétition de l’audience d’appel, garanti
l’oralité de la procédure et
réservé le passage à la procédure
écrite à une communication ultérieure sur ses
modalités pratiques. Toutefois, sans revenir sur ces
assurances, la Cour d’appel a rendu l’arrêt
d’appel en procédure écrite. - Le Tribunal fédéral a commencé par
rappeler que la procédure d’appel est en principe orale.
On ne peut y renoncer que dans des cas simples et lorsque les
auditions ne sont pas nécessaires. La procédure ne
peut pas être menée par écrit lorsque des
questions de fait sont contestés, à moins qu’il
ne s’agisse de cas régis par l’art. 406 al. 2 CPP.
Le consentement à la procédure d’appel
écrite ne peut pas remplacer les conditions légales
de l’art. 406 al. 2 let. a et b CPP, mais s’ajoute à
celles-ci. Il appartient à l’instance d’appel
d’examiner d’office si les conditions pour la mise en Suvre
de la procédure écrite sont remplies. Par ailleurs,
l’art. 406 CPP étant une disposition de nature
potestative, la juridiction d’appel doit examiner la
compatibilité de la renonciation à l’audience
publique à l’aune de l’art. 6 ch. 1 CEDH (consid.
2.1). - Les parties ont le droit d’être entendues (art. 29
al. 2 Cst et l’art. 6 ch. 1 CEDH) et le principe de la bonne
foi impose un comportement loyal et digne de confiance. Il
confère à une personne le droit de faire confiance
à une assurance, un renseignement ou un autre comportement
de l’autorité (consid. 2.2). - In casu, le 20 juillet 2020, après l’appel
interjeté par le Recourant, la direction de la
procédure de la Cour d’appel avait ordonné des
débats oraux. Cependant, comme le Recourant ne
s’était pas présenté à
l’audience d’appel, la procédure d’appel a
été classée comme étant sans objet
(art. 407 al. 1 let. a CPP). Par la suite, le Recourant a
demandé la restitution de de la date manquée, puis a
spontanément écrit à la direction de la
procédure, le 21 juin 2023, pour expliquer que le jugement
d’appel pourrait également se faire par la voie
écrite. Le 5 septembre 2023, la direction de la
procédure a décidé que la procédure se
déroulerait par écrit et sans audience des parties.
Le 14 septembre 2023, la Cour d’appel a rendu une
décision admettant la restitution du délai, la
répétition des débats d’appel en
présence du Recourant et a réservé le passage
à une procédure écrite et ses modalités
d’exécution à une décision
ultérieure. Finalement, le 18 janvier 2024, la Cour
d’appel a rendu son arrêt sans aucune suite et aucune
motivation en procédure écrite (consid. 3). - Notre Haute Cour a considéré que
l’instruction de même que les décisions
judiciaires étaient arbitraires quant à la conduite
de la procédure. Le dispositif de la décision du 14
septembre 203 était clair et sans équivoque : «
Die Berufungsverhandlung wird in Anwesenheit des
Beschwerdeführers wiederholt. Der Wechsel ins schriftliche
Verfahren bleibt vorbehalten. Die Verfügungen betreffend die
Modalitäten folgen später ». Sur la base de
ces promesses judiciaires, le Recourant pouvait s’attendre
à la tenue d’une audience d’appel orale en sa
présence. En tout état de cause, il était en
droit d’attendre de bonne foi d’être informé
sur les modalités ultérieures de la procédure,
dans le respect de son droit d’être entendu – comme
cela lui avait été promis. Au contraire, la Cour
d’appel a rendu son jugement sur le fond le 18 janvier 2024 et
ce contrairement à ses assurances et sans avoir au moins
accordé au Recourant le droit d’être entendu ou
même un délai pour déposer une requête
écrite. In fine, le Tribunal fédéral
a souligné que le fait que le Recourant se soit
préalablement positionné en faveur d’une
procédure écrite n’était pas pertinent
dans l’analyse des assurances données par
l’autorité (consid. 4). - Partant le recours a été admis.
TF 6B_1323/20231 du 11 mars 2024 | Discrimination,
incitation à la haine (art. 261bis al. 1 CP) et fixation de
la peine
- Le 27 septembre 2023, A. (« Recourant
») a été condamné par le tribunal
cantonal vaudois à une peine privative de liberté de
60 jours pour diffamation et incitation à la haine en raison
de l’orientation sexuelle (art. 261bis al. 1 CP). Le Recourant
a notamment qualifié la journaliste B. de «
militante […] queer [qui] veut dire, je
crois, désaxé. Donc je pense qu’entre ma vision
du monde et celle d’une grosse lesbienne militante pour les
migrants, je pense que je suis plus, moi, un combattant pour la
paix, la fraternité et l’âme suisse […]
». - Le Tribunal fédéral a d’abord
énoncé que cette disposition vise à
protéger la dignité des personnes et indirectement la
paix publique. La notion d’incitation englobe le fait
d’attiser des émotions de manière à
susciter la haine et la discrimination, même en l’absence
d’une exhortation très explicite. L’auteur doit agir
publiquement par des paroles, des écrits, des gestes ou des
voies de fait. L’infraction est intentionnelle, le dol
éventuel pouvant suffire. Déterminer le contenu du
message relève des constatations de fait, mais son
interprétation ressort de l’application du droit
fédéral. Il s’agit de rechercher le sens
qu’un destinataire non prévenu doit conférer aux
expressions utilisées, compte tenu de l’ensemble des
circonstances pertinentes, soit, notamment, la personne dont
émane le message et celles qui sont visées.
L’art. 261bis CP doit toutefois être
interprété à la lumière des principes
régissant la liberté d’expression, en ce
qu’il est essentiel que même les opinions qui
déplaisent à la majorité ou qui la choquent
puissent être exprimées et que les propos tenus, dans
un débat politique par exemple, ne soient pas
appréhendés de manière strictement
littérale, les simplifications et les exagérations
étant usuelles dans ce domaine (consid. 1). - Le Tribunal fédéral n’a pas estimé que
l’interprétation des propos du Recourant par
l’instance inférieure était contraire au droit
fédéral. Celle-ci a en effet retenu que ce dernier
visait bien l’orientation sexuelle de B. par sa critique et les
termes « queer » et « grosse
lesbienne », et non son militantisme. La cour cantonale
a par ailleurs retenu le caractère méprisant des
propos, en ce qu’ils étaient outranciers et rabaissants.
Par ailleurs, le fait d’inclure une image photo-portrait de B.
sous la vidéo incriminée, offrant aux internautes une
figure concrète sur laquelle déverser leur
mépris tendait à éveiller et à exciter
un sentiment de haine homophobe, bien que la démarche
n’ait pas été explicite. La cour cantonale
était en sus fondée à tenir compte, dans son
appréciation, des commentaires publiés par des tiers
en réaction à l’entretien filmé du
Recourant afin d’établir la signification du message
incriminé du point de vue d’un tiers moyen (consid.
2). - Le Tribunal fédéral n’a pas non plus
infirmé la prise en compte des antécédents
judiciaires du Recourant en matière d’incitation
à la haine en France pour établir
l’élément subjectif de l’infraction consid.
3). - Quant au grief de la liberté d’expression, notre
Haute Cour a estimé que l’ingérence dans
l’exercice, par le Recourant, de son droit à la
liberté d’expression, était nécessaire
dans une société démocratique. En effet, son
discours correspondait bien plus à une attaque personnelle
gratuite à l’encontre de personnes définies par
leur orientation sexuelle qu’à l’expression
d’une opinion sur des questions d’intérêt
public. Il ne relève ainsi nullement du débat
politique ou d’un débat d’intérêt
général dans lequel la critique doit être plus
largement admise (consid. 4). - Enfin, le Tribunal fédéral a admis le recours sur
le point de la fixation de la peine. La condamnation du Recourant
pour diffamation à une peine pécuniaire de 30
jours-amende prononcée en première instance
n’avait pas été remise en cause dans l’appel
du ministère public, si bien qu’elle était
entrée en force. Il en résulte que la cour cantonale
n’était pas autorisée à prononcer une
nouvelle peine pour cette infraction, ce point du jugement
n’ayant pas été attaqué (art. 404
cum 399 al. 4 et art. 402 a contrario CPP). Par
ailleurs, la peine prononcée par la cour cantonale avait
également violé le droit fédéral sous
l’angle du type de la peine, en ce que la diffamation ne peut
être punie que d’une peine pécuniaire, et non
d’une peine privative de liberté (art. 173 CP) (consid.
7). - Partant, le recours a été partiellement
admis.
II. DROIT PÉNAL ÉCONOMIQUE
TF 6B_978/2023 du 11 mars 2024 | Audition des parties
plaignantes par questionnaire sans confrontation (art. 145 CPP) et
négation de la coresponsabilité des victimes dans le
cadre d’une escroquerie par métier (art. 178ss CPP, art.
141 al. 2 CPP, art. 146 CP)
- Le 27 octobre 2021, le Kriminalgericht du canton de
Lucerne a condamné A. (« Recourant
») à une peine privative de liberté de 6 ans et
2 mois pour escroquerie par métier et faux dans les titres
à plusieurs reprises. La décision a été
confirmée en appel le 3 avril 2023. Le Recourant a
interjeté un recours en matière pénale devant
le Tribunal fédéral. - Premièrement, le Recourant s’est plaint de la
violation des art. 180 al. 2 CPP cum 141 al. 2 CPP : la
plupart des personnes lésées n’avaient
été interrogées sur les faits que dans le
cadre d’un questionnaire du ministère public et il leur
avait été indiqué dans ce contexte
qu’elles n’étaient pas tenues de répondre aux
questions. Ce même jour, 15 personnes s’étaient
constituées parties plaignantes. Sur cette base, elles
étaient tenues de témoigner en raison de leur statut.
En raison de la fausse information sur leurs droits et obligations,
leurs déclarations devaient être
considérées comme inexploitables (consid. 1). - Le Tribunal a fédéral a commencé par
rappeler la portée du statut de la personne appelée
à donner des renseignements (art. 178 et 179 CPP) laquelle
est tenue de déposer devant le Ministère public, les
tribunaux et la police qui l’interroge sous mandat du
Ministère public. Leurs droits et obligations doivent leurs
être rappelés en début d’audition (consid.
1.1.1). - Notre Haute Cour a par ailleurs souligné que les preuves
recueillies en violation de ces dispositions sont inexploitables,
à moins que leur exploitation ne soit indispensable à
l’élucidation d’infractions graves (art. 141 al. 2
CPP) (consid. 1.1.2). - In casu, il n’y avait pas eu d’interrogatoires
personnels, mais uniquement des rapports écrits
rédigés sur la base de la volonté des
comparants (art. 145 CPP). Le Tribunal fédéral a
souligné que cette procédure peut être
indiquée dans l’intérêt d’une poursuite
pénale efficace et en particulier dans les cas de
délits de masse impliquant un grand nombre de
lésés comme en l’espèce. Il en
découle que les dispositions légales invoquées
ne sont pas pertinentes. Dès lors, le Tribunal
fédéral a retenu qu’il n’y avait pas eu de
violation d’une disposition légale de validité
qui entraînerait l’inexploitabilité des preuves
recueillies sur la base de l’art. 141 al. 2 CPP (consid.
1.2.1). - Deuxièmement, le Recourant a soutenu que
l’état de fait avait été établi de
façon insuffisante du fait qu’il n’avait pas
été confronté aux victimes (consid. 2). - Les parties ont le droit d’être entendues (art. 3 al.
2 let. c CPP). Cela inclut le droit d’interroger des
témoins à charge (art. 147 al. 1 CPP ; art. 6 ch. 3
lit. d CEDH). En principe, un témoignage à charge
n’est utilisable que si l’accusé a eu au moins une
fois au cours de la procédure une possibilité
adéquate et suffisante de mettre en doute le
témoignage et de poser des questions au témoin
à charge. Toutefois, il est possible de renoncer
expressément ou tacitement à la participation aux
auditions et la renonciation peut même provenir du
défenseur du prévenu (consid. 2.1.1). - In casu, l’autorité
précédente avait retenu, à juste titre, que le
Recourant n’avait jamais contesté au cours de la
procédure les informations recueillies auprès des
lésés et n’avait pas demandé auparavant
une confrontation formelle avec eux. Dans ce contexte, il fallait
partir du principe que le Recourant représenté par un
avocat avait valablement renoncé à une confrontation
avec toutes les parties lésées (consid. 2.2.2). - Troisièmement, le Recourant a contesté
l’appréciation juridique de l’escroquerie (art. 146
CP) en ce que l’élément constitutif du dol
faisait défaut, en particulier, chez les victimes B. et C.
en raison de leur coresponsabilité (consid. 4). - Notre Haute Cour a rappelé que le moyen d’action de
l’escroquerie est la tromperie, qui se définit comme une
déclaration inexacte sur des faits, par laquelle on agit sur
l’imagination d’autrui. Le dol est en outre requis. Ce
dernier n’est pas admis lorsque la personne trompée
aurait pu éviter l’erreur avec un minimum
d’attention et ceci même dans la configuration de la
coresponsabilité de la victime. Selon la jurisprudence, la
caractéristique du dol est remplie lorsque l’auteur
appuie ses fausses déclarations sur des documents
falsifiés (art. 251 CP). Le dol est exclu si les documents
présentés comportent des indices sérieux sur
leur inauthenticité. D’un point de vue subjectif
l’intention d’enrichissement illégitime doit
être donnée (consid 4.1.1). - L’infraction d’escroquerie en série est
donnée lorsque l’auteur agit souvent selon le même
modèle, le modèle d’action étant
prévu pour un groupe de victimes. Lorsque le mode
opératoire des cas individuels n’est pas seulement
similaire mais identique, il n’est pas nécessaire
d’examiner les différents actes de tromperie, dans la
mesure où le mode opératoire s’avère
dolosif pour toutes les victimes sur la base du modèle
d’action (consid 4.1.2). - In casu, le Recourant avait établi une
stratégie d’investissement mensongère à
l’aide de faux documents et graphiques, promettant des
rendements pour l’avenir. Pour l’essentiel, il avait
toujours procédé selon le même modèle
lors de la prospection d’investisseurs en s’écartant
légèrement et à des rares reprises de cette
constellation. C’est donc à juste titre que
l’instance cantonale avait retenu un délit en
série (consid. 4.2.1). - Le Tribunal fédéral a en outre rejeté une
coresponsabilité des victimes. Le Recourant avait fait
valoir que certaines d’entre elles avaient eu accès en
ligne à leur propre compte et auraient dû
s’apercevoir de l’artifice ou que certains
lésés avaient versés de l’argent sur des
comptes de transit qui n’étaient pas à leur nom.
Notre Haute Cour a considéré que c’était
à juste titre que l’instance inférieure avait
retenu ces aspects insuffisants à l’établissement
d’une coresponsabilité. Par ailleurs, le passé
commercial des personnes lésées et une certaine
expérience des opérations de placement ne
justifiaient pas une imprudence, au vu de l’édifice de
mensonges créé par le Recourant. Le dol avait donc
valablement été retenu (consid. 2.2.2). - Partant le recours a été rejeté.
III. DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ
–
IV. DROIT DE LA POURSUITE ET DE LA FAILLITE
TF 4A_636/2023 du 8 mars 2024 | Transmission de la
qualité de débiteur de contributions d’entretien
par succession et titre de mainlevée définitive de
l’opposition d’un jugement de divorce de 1993 (art. 80 al.
1 LP)
- Sur la base d’un jugement de divorce du 24 mars 1993, le
Bezirksgericht zurichois a accordé la
mainlevée définitive de l’opposition à B.
pour un montant de CHF 41’593.50 avec intérêts. Le
12 avril 2023, l’Obergericht zurichois a rejeté
le recours de A. (« Recourante »)
contre cette décision. - Le jugement de divorce sur lequel s’est fondé la
mainlevée approuvait une convention dans laquelle C.
(« Défunt ») s’engageait
à verser à B. des contributions d’entretien
indexées de CHF 12’000.- par mois. Selon cette
convention, ce droit à l’entretien était
transmissible par succession, tel que le permettait le droit en
1993 (consid. 3.1). - Les transactions ou reconnaissances passées en justice
sont assimilés à des jugements et permettent à
leur détenteur de requérir du juge la
mainlevée définitive de l’opposition (art. 80 al.
1 cum 80 al. 2 ch. 1 LP), pour autant qu’elles
obligent le débiteur à payer définitivement
une prestation pécuniaire déterminée. Le
tribunal de la mainlevée ne peut pas interpréter une
convention sur le fond, mais doit néanmoins examiner si elle
oblige le débiteur de manière claire et
définitive à payer une somme d’argent
déterminée et si elle peut constituer un titre de
mainlevée définitive (consid. 2). - L’instance inférieure avait exposé que les
jugements de divorce étaient des jugements formateurs pour
lesquels il n’était en principe pas possible
d’accorder la mainlevée. Toutefois, cela ne
s’appliquait qu’au principe du divorce et non à
l’obligation d’entretien. En ce sens, le jugement de
divorce du 24 mars 1993 constituait un titre de mainlevée
définitive dont l’objet n’était, ni
éteint, ni reporté, ni prescrit. Sur la base de
l’indexation prévue, il en résultait une
contribution d’entretien de CHF 13’864.50.- par mois. La
mainlevée définitive devait donc être
accordée (consid. 3). - La Recourante a d’abord reproché à
l’instance inférieure d’avoir violé
l’art. 80 al. 1 LP en ce qu’elle avait, certes,
examiné d’office la validité formelle du
prétendu titre de mainlevée, mais sans
vérifier ni l’exactitude du contenu du jugement de
divorce de 1993, ni si cette décision était
exécutoire. Le Tribunal fédéral a
néanmoins confirmé que la procédure de
mainlevée était une pure procédure
d’exécution, et que l’instance
précédente n’avait pas à se pencher sur
l’exactitude matérielle du jugement de divorce (consid.
4.1). - La Recourante a également fait grief à
l’instance inférieure d’avoir retenu, sans plus
ample analyse, sa légitimation passive dans cette
procédure. L’Obergericht zurichois a en effet
soutenu que la Recourante était incontestablement, et tel
qu’elle l’a reconnu, l’unique héritière
du Défunt, et qu’en tant qu’héritière
universelle, elle aurait repris l’obligation d’entretien de
ce dernier. Le Tribunal fédéral a rejoint
l’instance inférieure en ce que la Recourante avait
elle-même reconnu qu’elle était l’unique
héritière du Défunt. Après avoir
considéré à juste titre que l’exactitude
matérielle du jugement de divorce de 1993 ne pouvait pas
être vérifiée dans la procédure de
mainlevée, l’instance précédente avait
donc valablement pu se baser sur la position de la Recourante en
tant qu’unique héritière et admettre sans autre
sa légitimation passive (consid. 5.2). - Partant, le recours a été rejeté.
V. ENTRAIDE INTERNATIONALE
–
Footnote
1. Destiné à
publication
The content of this article is intended to provide a general
guide to the subject matter. Specialist advice should be sought
about your specific circumstances.
POPULAR ARTICLES ON: Criminal Law from Switzerland
#Newsletter #Avril #Avril #Crime