Dans un jugement du 20 décembre 2023, le
Tribunal Judiciaire de Paris a validé le retour des fameuses
cacahuètes enrobées de chocolat Treets par Piasten et
Lutti… alors même que la marque était initialement
la propriété de Mars. Alexis Thiebaut soulève ici des
questions sur la protection des marques abandonnées et la
nécessité d’une renommée active pour
préserver les droits.
Un retour surprenant : les Treets reviennent sur le
marché
Contexte
Lancée dans les années 1960 au Royaume-Uni par
Mars, Treets est rapidement devenu un produit phare de cette
société, notamment grâce à son slogan
« Fond dans la bouche, pas dans la main ! » :
Finalement remplacée par la marque M&M’s en 1986,
|
Estimant que sa marque Treets disposait encore d’une
renommée résiduelle et que cet usage et ces
dépôts étaient de nature à porter
atteinte à ses droits, Mars a assigné les
sociétés Lutti et Piasten sur de nombreux fondements
(notamment nullité des marques pour caractère
trompeur et pour dépôts effectués de mauvaise
foi, concurrence déloyale et parasitaire).
Un héritage contesté : l’affaire Treets
Position du Tribunal Judiciaire de Paris
Dans son jugement du 20 décembre dernier, le Tribunal
Judiciaire de Paris a purement et simplement débouté
Mars de toutes ses demandes.
Il a en effet été considéré que
:
- Mars avait été informée de la
volonté de la société Piasten d’utiliser
le signe Treets, du fait de négociations antérieures
ayant, de façon assez peu surprenante, échoué
et que la pratique mise en Suvre par Piasten et Lutti était
en réalité une pratique commerciale usuelle dans la
vie des affaires. Les dépôts effectués par ces
deux sociétés n’ont donc pas été
effectués de mauvaise foi, d’autant qu’elles avaient
proposé de ne pas utiliser un emballage jaune. - Les dépôts effectués par ces deux
sociétés ne sont pas non plus trompeurs, dès
lors que la nouvelle marque Treets est la seule sur le
marché français et que la renommée
résiduelle des marques de Mars est insuffisante. - Les agissements de Lutti et Piasten ne sont pas non plus
constitutifs d’actes de concurrence déloyale et
parasitaire, Mars n’ayant pas fait usage de la marque Treets
depuis plus de 30 ans. Le Tribunal relève également
que Mars n’a pas prouvé les investissements
effectués pour conserver la notoriété
attachée à ses produits Treets.
Les Treets : une histoire de droits et de renommée
Jurisprudence antérieure
Il est relativement rare que les instances françaises ou
européennes soient amenées à se prononcer sur
une telle problématique.
Ceci étant, le TUE a pu récemment adopter une
position similaire (06/07/2022, T-250/21, Ladislav Zdút /
EUIPO), dans une affaire concernant la marque NEHERA.
A l’origine, ce nom avait été
déposé par Jan NEHERA, citoyen tchèque, et
avait été utilisé pour désigner des
vêtements, commercialisés en Europe, aux Etats-Unis et
en Afrique. Suite à une nationalisation de cette entreprise
en 1946, un nouveau nom a été adopté et la
marque NEHERA a été abandonnée. C’est
finalement en 2013 qu’un citoyen slovaque a
procédé au dépôt de la marque de
l’Union Européenne n°011794112 (ci-dessus), sous un
logo identique à celui utilisé par Jan NEHERA dans
les années 20 :
En Juin 2019, les héritiers de Jan NEHERA agissent en
nullité contre cette marque auprès de l’EUIPO,
considérant que ce dépôt avait
été effectué de mauvaise foi.
La division d’annulation de l’EUIPO a rejeté
cette action, avant que la Chambre de Recours ne prononce la
nullité de cette marque. Cette dernière a en effet
considéré que le déposant de la nouvelle
marque NEHERA avait voulu tirer indûment profit de la
renommée résiduelle de la première marque.
Le TUE a finalement rejoint la division d’annulation et a
rejeté cette demande de nullité, faute pour les
héritiers d’avoir réussi à prouver la
renommée résiduelle de la première marque
NEHERA. De la même façon, il a été
considéré que la simple connaissance de
l’existence de la marque antérieure NEHERA et de sa
renommée passée, n’était pas suffisante
pour considérer la seconde marque comme ayant
été déposée de mauvaise foi.
A contrario, dans un arrêt du 08 mai 2014 (T-327/12, Simca Europe LTD / OHMI et GIE SPA
Peugeot Citroën), le TUE avait jugé que le
dépôt de la marque SIMCA n°006489371 en classe 12
avait été effectué de mauvaise foi, compte
tenu de la notoriété attachée à la
marque SIMCA lancée en 1934.
La décision du Tribunal Judiciaire de Paris et le
parallèle avec la jurisprudence antérieure
Discussion
Au regard de ce qui précède, il semble que les
instances françaises et européennes soient
plutôt favorables au réveil des belles endormies par
des tiers.
Dans cette dernière affaire, il est en effet important de
préciser que le déposant de la seconde marque SIMCA
avait requis une compensation financière du titulaire
initial pour procéder au retrait de sa marque, ce qui peut
facilement expliquer l’annulation de cette marque.
Dans le cas de l’affaire Treets, il nous semble que la
position adoptée par le Tribunal Judiciaire est
particulièrement sévère pour Mars. En effet,
au-delà du nom Treets, la couleur du nouvel emballage ne
diffère que très peu de l’original, de même
que la police ou encore la présentation
générale du pack :
Mars | Lutti – Piasten |
---|---|
Par ailleurs, le lancement en 2017 des nouveaux Treets a
été accompagné de nombreux articles faisant
référence à Mars et à son ancienne
marque.
Le public pertinent pouvait donc, à notre sens, effectuer
aisément un lien entre l’ancienne et la nouvelle
marque.
Certes, il appartient bien au titulaire d’une marque
d’en faire un usage sérieux, mais une exception au
principe de l’obligation d’usage ne pourrait-elle pas
être envisagée pour les marques jouissant d’une
renommée, même plusieurs années après
leur abandon ?
Le droit des marques connait déjà plusieurs
exceptions à ses grands principes. Ainsi, une marque
jouissant d’une renommée dispose d’une protection
allant au-delà du principe de spécialité et
une marque notoire dispose d’une protection en l’absence de
tout enregistrement.
Les mécanismes de la concurrence déloyale et
parasitaire et de l’action en nullité pour
dépôt de mauvaise foi restent bien entendu
envisageables, mais le Tribunal Judiciaire de Paris laisse ici
sous-entendre que pour engager de telles actions, le titulaire de
la marque première devrait avoir conservé une
position active sur le marché et avoir effectué des
investissements pour que sa marque conserve une renommée
résiduelle ; ce qui semble relativement contre-intuitif pour
une société ayant justement abandonné sa
marque.
Une telle exception au principe d’usage pour des marques
jouissant encore d’une renommée devrait donc à
notre sens être justifiée par les investissements
passés effectués par le titulaire initial ;
investissements qui produiraient encore des années plus tard
des effets dans l’esprit des consommateurs.
Il nous semble par ailleurs que par nature de telles reprises de
marques anciennes sont justement effectuées pour profiter de
leur renommée résiduelle et du lien que le public
reste capable d’effectuer entre la marque première et la
seconde.
Mars ne devrait toutefois pas manquer d’interjeter appel du
jugement du Tribunal Judiciaire de Paris, ce qui pourrait donner
lieu à une position inverse.
Affaire à suivre donc…
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